Manifeste du Non-objet

art contemporain

Il est là, toujours prêt à être réalisé.

Par Olivier Borneyvski



Lorsque la conception d'une oeuvre devient plus importante que l'œuvre elle-même.

L'objet d'art n'est-il pas la convergence de plusieurs déterminismes ? Sa conception ne dépend-elle pas d'un « ensemble » d'actions volontaires et involontaires, d'énergies constitutives, menées par l'artiste ? Quelle logique, quel hasard, quelle nécessité poussent cet « ensemble » à se constituer ? Toute modification de cet « ensemble » amène t-elle la modification de l'objet désiré. ? Cet « ensemble » d'éléments fondateurs de l'objet n'est-il pas devenu lui-même objet, laissant ainsi l'objet d'art tant objectivé n'être plus que la concrétisation dérisoire de sa propre mis en œuvre? L'objet, dans sa re-présentation ne se retrouve t-il pas être le double de sa propre présentation discursive, elle même re-présentation de « l'ensemble » des éléments constitutifs de l'objet. Le serpent, en dévorant sa propre queue, vient de disparaître, victime de sa propre gourmandise, laissant place au non-objet.



Présence/absence.

Le non-objet rend ainsi présents « les contextes-absents » : motivations individuelles, tendances, géographiques, environnements technologiques et mentaux, qui sont alors simultanément vécus par l'observateur projeté au sein même de ses propres interrogations. Difficile d'échapper à la trace laissée sur le terrain du devenir formel du non-objet. Se refuser à lire les quelques lignes qui vont suivre, participe alors aux possibles de construction du non-objet. Absence ou présence, adhésion ou refus formel ou informel, la construction du non-objet ne s'arrête pas en bas d'une page dactylographiée.


Avant/pendant

L' « ensemble » des éléments constitutifs du non-objet ne s'inscrivent pas dans une temporalité classique de l'avant et de l'après de l'acte artistique, il est le rouge à lèvre de la secrétaire de la galerie, le contenu de la poubelle d'un conseiller aux arts plastiques, le pneu avant droit de la voiture d'un mécène qui a dit non (ou qui à dit oui), votre classeur, oui, je m'adresse à vous qui lisez ces lignes, votre classeur dans lequel disparaîtront ces quelques mots, tous ces éléments constitutifs s'agglutinent en paquets au non-objet qui devient lui-même constitutif d'un autre non-objet. Toute action visant à dénigrer, à complimenter ou simplement à parler du non-objet lui ajoute de nouvelles fonctionnalités. Il est là, toujours prêt à être réalisé, il est sans cesse en action, à l'instar de la mécanique quantique, il est impossible de connaître en même temps sa vitesse et sa position transformant toute tentative de classification définitive en un nouveau non-objet.



La question du lieu

  • Les oeuvres sans lieux"
    Si le lieu d'exposition détermine en grande partie la valeur de l'oeuvre exposée, je peux tenter d'introduire mes oeuvres qui n'existent pas dans un lieu identifié seulement par le protocole conceptuel sous condition qui sous-tend à l'existence de l'oeuvre..
    ........"Cette oeuvre n'existe que lorsqu'elle est entre les quatre murs d'un musée"
    ........"Cette oeuvre n'existe que lorsqu'elle est dans le cartable d'un professeur d'art plastique"
    ........"Cette oeuvre n'existe que lorsqu'elle est dans un livre d'édition d'art"
    Là encore, à des fins "spectaculaires" de classement, il s'agit d'interroger des lieux de l'art contemporain par genres de structures (musées, centre d'art, galerie, etc.), mais aussi des lieux improbables en correspondance avec ma vie d'artiste (étable, garage, boulangerie) l'objectif etant toujours de solliciter la réaction à l'oeuvre d'un très large public qui n'est pas forcement concerné par l'art contemporain ou le spectacle vivant.

  • Les variantes d'absolus
    Le Non-objet ne peut exposer des oeuvres qui n'existent pas. Ceci dit, toutes les pièces collectées peuvent tout à fait faire l'objet d'une rétrospective d'oeuvres en devenir. Mais le Non-objet ne peut se permettre de réaliser quoi que soit qui puisse donner l'impression qu'il est ou qu'il fabrique quelque chose de tangible et/ou de visible. Il y va de la pérennité même du Non-objet qui ne survivrait pas à une tentative d'analyse de sa propre existence jusqu'ici seulement justifiée par son absence. Le Non-objet "biennal" tente de ne pas participer à une Biennale d'art contemporain en demandant de ne pas y participer en soulignant que plus j'ai de réponses à mes demandes de ne pas exposer à des biennales d'Art contemporain, plus on risque de me proposer d'exposer ces refus à une biennale d'art contemporain.

  • L'espace-temps
    Plus vous passez du temps dans un lieu, plus le risque d'y laisser des traces augmente et même si la densité des oeuvres ainsi abandonnées n'est pas proportionnelle au temps passé à les réaliser, le Non-objet ne peut se permettre de rester trop longtemps au même endroit. Dans l'idéal, si décrire une action prend moins de temps que de réaliser cette action, le Non-objet a tout intérêt à décrire le temps qu'il pourrait passer dans un lieu plutôt que de passer du temps dans ce lieu.

  • L'espace public personnel
    Se mettre en scène seulement pour soi même pourrait être assimilé à une forme d'autisme à condition que quelqu'un observe ce comportement pour le diagnostiquer sinon personne n'en saura rien et il s'agirait bien là d'une forme de représentation absente jusqu'au moment où je vous en ferais la description.

  • Catégorie et poétique de la question du lieu
    Toutes les oeuvres concernant la question du lieu doivent pouvoir se regrouper à l'intérieur d'une catégorie au nom évocateur. Si l'on considère le lieu de la représentation comme un espace fini et que l'on décide de le diviser en deux, puis de diviser à nouveau en deux l'espace obtenu et ainsi de suite jusqu'à l'infini, on constate que même aux abords de l'infini, il est encore possible de le diviser en deux et d'y réaliser quelque chose.


La question de la concurrence

  • Les oeuvres perdues
    Le rapport d'activité d'un équipement culturel est un document rédigé annuellement synthétisant toutes les activités et autres opérations réalisées pendant l'année. Il permet de documenter les missions dont sont investis tous les équipements culturels. Il s'agit le plus souvent d'une succession de quantitatifs en face de courtes lignes de description. Par exemple pour la ligne du rapport d'activité relatant l'organisation d'une exposition d'art contemporain, l'on aura: 1200 participants 20 sélectionnés. 2000 visiteurs, ce qui permet de discourir sur une quantité de cible atteinte et d'en dégager une contrepartie active.

Même si les chances pour le Non-objet d'être sélectionné sont faibles, ce n'est jamais en vain que le Non-objet accepte de se mettre en concurrence avec d'autres projets artistiques, car il a le sentiment d'exister dans ce petit interstice laissé en bas d'une page annuelle dactylographiée à l'en tête prometteur(rapport d'activité). Le non-objet répondra à un appel à candidature en proposant de ne pas y participer. Sa candidature pourra être ainsi comptabilisée dans le rapport d'activité comme s'il s'agissait d'une candidature normale et donner au non-objet le sentiment de presque produire de l'activité.

  • Gagner
    Si j'accepte de me mettre en concurrence avec d'autre artiste, c'est qu'il s'agit d'une compétition, où il faut gagner. À la définition de compétition dans le Larousse, on trouve : "Rivalité d'intérêts entre plusieurs personnes qui poursuivent un même but" . Pour toute compétition, il y a égalité des chances des concurrents sur la ligne de départ définies selon des critères élaborés par un règlement. Pour faire simple "A telle date, telle heure vous devez remettre votre projet à l'adresse suivante....top partez !", mais, en matière d'art contemporain, pour concourir il faut aussi produire un Curriculum vitae". Le contenu du curriculum vitae donné par l'artiste semble augmenter ou diminuer cette égalité des chances, il pourrait y avoir alors, suspicion de tricherie ou de dopage.
    Participer à un concours en refusant de concourir, le non-objet réussirait presque a avoir les mêmes chances que tous les perdants.

  • Catégorie et poétique de la question de la concurrence.

    "Aux candidats prêts pour l'assaut d'une première place, je dédie cette oeuvre. Les toiles se déchirent, les couleurs vivent, quelques chevalets s'écorchent en cohorte et fusent un peu, alors que des aquarellistes en sang gisent dans leur jus trop clair. Au loin, perfides et ventrus, les pics des sculpteurs s'enfoncent au plus profond du corps des staffeurs. Les « istes » en groupes se serrent aux salons pendant que quelques refusés tentent de fuir par des pots de peinture restés entrouverts."


La question du milieu


  • Les oeuvres du milieu
    Difficile d'intéresser des critiques d'art, des commissaires d'expositions à une oeuvre ne présentant rien de vraiment nouveau.
    je demanderai formellement au critique d'art de ne pas publier de critique sur le Non-objet, au commissaire d'exposition de ne jamais organiser une exposition sur le Non-objet, aux agents d'art de ne pas me proposer de devenir mon agent, et d'une manière générale d'interdire à quiconque appartenant à la profession de parler du Non-objet...Le conflit est avoué. En me débarrassant des prescripteurs culturels, je prends le risque de m'isoler complètement, car ils peuvent tout à loisir ignorer les élucubrations d'un artiste décentralisé et improbable. Cette démarche surprenante interroge et suscite donc de l'intérêt. Cette interdiction de faire exister le non-objet semble le faire encore plus exister au vu de l'agacement que je procure auprès des professionnels qui adorent provoquer, mais qui détestent être à leur tour provoqués.

  • Collaboratif

    De nombreuses expériences de travail artistique collaboratif jalonnent l'histoire de l'art. Collaboration entre artistes, collaboration entre artiste et spectateur, oeuvres collaboratives, le groupement d'identité est à la mode comme il l'est dans l'interdisciplinarité collaborative ou les collectifs d'acteurs. Le collectif comme sortie de session d'une école, le collectif comme mouvement, le collectif comme réseaux, le collectif comme économie d'échelle. Collaborer avec plusieurs artistes c'est partager un atelier, une gestion, une communication. Historiquement les mouvements artistiques se sont construits avec des artistes qui collaboraient principalement au niveau du partage d'une même esthétique, mais il existe peu d'oeuvres réalisées à plusieurs mains. Le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris a accueilli en octobre 2015 l'exposition « Co-Workers – Le réseau comme artiste ». Parti pris intéressant que celui de choisir des artistes connectés. Le réseau devient l'oeuvre et l'on ne soucis plus de ce que les artistes produisent. C'est comme si un groupe d'ébéniste faisait un meuble de conception collaborative en forme de gouge. L'oeuvre c'est le réseau. La toute-puissance de l'ingénieur nous conduit aux confins de l'univers et de l'espace virtuel en produisant toujours plus d'idées et d'objets à consommer.

    Ainsi, le Non-objet en présence d'une "vraie oeuvre d'art" peut s'imaginer l'espace d'un instant, d'un instant seulement, être une oeuvre d'art. Collaboration fusionnelle ou à distance, le Non-objet éclaire par sa présence l'oeuvre d'un autre. Il peut tout à loisir se demander si sa quête d'existence ne devrait pas commencer par la lumière.

  • Catégorie et poétique de la question du milieu

    Toutes les oeuvres concernant la question du lieu doivent pouvoir se regrouper à l'intérieur d'une catégorie au nom évocateur. L'expression être au milieu de nulle part signifie qu'il existe une distance de même longueur entre moi et ce qui pourrait délimiter le nulle part en question. Cette délimitation prouve que nulle part est un espace fini puisqu'il semble avoir un contour. SI je me déplace au milieu de nulle part, soit le contour reste le même et il se déplace avec moi, soit le périmètre du contour grandit pour me garder au milieu. La question est de savoir si ce contour ne se trouve pas au milieu de nulle part.

    Un jour, peut-être. Traces au sud offert, mes toiles s'entassent pour masquer mes regrets. Un chevalet au centre galope vers des terres arides où l'art sans portes et sans toit effacerait l'espace clos.




La question de la vie personnelle


  • Les oeuvres du lendemain
    "Les people" ont toujours fasciné un très large public. Les magazines people s'empilent chez mon dentiste chez lequel j'arrive toujours un peu en avance pour pouvoir les lire en cachette. Cette sensation de médiocrité qui vous envahit furtivement juste avant et juste après la lecture de pareille littérature n'est pas désagréable à petite dose. J'imagine que des prises répétées peuvent conduire à un total désarroi et renvoyer celui qui en abuse à un quotidien sans perspective. Il est de plus en plus difficile d'échapper aux rubriques people présentes un peu partout dans la sphère médiatique. Les revues spécialisées en art classique ou contemporain n'y échappent pas. Certaines tentent d'intéresser leur public par des bio d'artistes riches en détail croustillants de leur vie personnelle sans oublier d'appuyer sur les lieux communs de la vie d'artiste (souffrance, désespoir, vie licencieuse, richesse et décadence, oubli, etc.): "Le Caravage, peintre et assassine" "Les dernières heures de Van Gogh" "Le porno de Géricault aux enchères". Au-delà de ces manipulations commerciales, il est vrai que les historiens de l'art réussissent à éclairer bon nombre d'oeuvres à partir de détails infimes de la vie de l'artiste. Les événements insignifiants deviennent sublimes comme pour nous rappeler la valeur inestimable de chaque instant de notre vie.

  • L'argent
    Quand je parle de mon projet du Non-objet aux gens, la première réaction n'est pas de rejeter, de se méfier ou d'ignorer le projet, mais de savoir si j'en vit. Bien sûr que je n'en vis pas au sens qu'il faut gagner de l'argent pour vivre. J'ai la chance d'avoir plusieurs métiers qui me permettent de financer mon oeuvre sans me soucier de trouver de l'argent. Au vu de mes fréquentations d'artistes aisés et d'artistes qui le sont moins certaines oeuvres du Non-objet auront directement pour cible les raisons de la précarité de bon nombre d'artistes.
    Selon les chiffres publiés par la maison des artistes il y avait en 2009, 23420 artistes affiliés cotisants et 25116 artistes assujettis cotisants.

    Je rappelle qu'un assujetti cotise, mais sans pouvoir bénéficier d'une couverture sociale.

  • Mise en scène
    Lorsqu'on met en scène un texte dramatique surgissent parfois pendant les répétitions des moments de grâce. Un silence envahit le plateau, les comédiens se regardent, surpris. Le metteur en scène ne bouge plus. Encore endolori par l'émotion d'un instant, il faut maintenant tenter de le retrouver pour le partager avec le monde. Les débutants s'imagineront trouver quelques théories dans leur cursus, les plus aguerris convoqueront leur expérience, les autres simplement heureux d'avoir été émus. La vie nous offre ces moments improbables et tenter de les reproduire conduit les débutants à la mélancolie, les plus aguerris à la nostalgie, les autres prennent simplement le temps de s'en souvenir.





La question administrative


  • Les oeuvres du placard
    L'artiste est un citoyen qui doit s'acquitter de nombreuses tâches administratives s'il veut vivre en société. Il doit respecter le droit du travail, le Code de la route, la fiscalité. Il doit avoir un statut juridique pour gérer son activité. Prendre une assurance pour protéger son oeuvre et sa personne. Il doit pouvoir se défendre si l'on contexte ses droits d'auteurs. Négocier le meilleur prix pour acheter du matériel ou un local, ouvrir un compte en banque, souscrire un crédit. L'administration (publique ou privée) est une cible idéale pour le Non-objet. L'administration fonctionne en général très bien. Les légendes urbaines aiment à critiquer sa lenteur, son incompétence, sa lourdeur, mais elles ne se rendent pas compte de la complexité d'un système, qui organise, qui protège, qui entretient à très grande échelle.

  • Quel statut pour le non-objet?
    Serait-il possible d'avoir un statut juridique sans réaliser d'oeuvre?. Même sans rien produire je peux tout à fait me déclarer au centre de formalités des entreprises (CFE) de l'Urssaf dont dépend mon domicile. J'obtiendrai alors un numéro d'identification de mon activité (n°de siret) et son classement en métier référencé (code APE). Concernant mon inscription à la sécurité sociale des artistes, la MDA (maison des artistes) il me faudra présenter au moins une facture correspondant à la vente d'une de mes oeuvres: mais qui accepterait de payer pour quelque chose qui n'existe pas?

     

 


Une breve histoire du vide ou comment arriver à rien.